• Par Driss Bennani<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Reportage, Khouribga : Côté privé, côté public<o:p> </o:p>

    Khouribga est peut-être la seule ville au Maroc à avoir essayé deux modes de gestion différents. D'un côté, celui de ses conseils municipaux successifs. De l'autre, celui de l'OCP, l'office le plus puissant du pays. Le décalage est frappant.


    Khouribga est née deux fois. La première naissance, fruit d'une histoire d'amour entre une mine et un office, a donné un bébé charmant que les nouveaux parents ont chéri jusqu'à l'âge adulte. La deuxième, presque accidentelle, est celle d'un enfant difforme, bâtard, dont les parents n'ont jamais voulu. Il a donc grandi seul, un peu n'importe comment, au hasard de ses tuteurs. Aujourd'hui, les deux cohabitent difficilement, séparés par une ligne de chemin de fer que l'office a, au départ encore une fois, réalisé pour les beaux phosphates de la mine.
    Ainsi est Khouribga : une ville, deux visages. D'un côté, la ville OCP. Créée et gérée (intégralement jusqu'à il y quelques années) par l'Office chérifien des phosphates, l'un des plus puissants offices du pays. De l'autre, une ville à mettre entre guillemets, comme tant d'autres dans cette région pauvre du royaume, gérée par des conseils provinciaux comme tant d'autres. Une ville bientôt fantôme, puisque sans cesse désertée par ses habitants, surtout jeunes.
    Sur place, le décalage est toujours aussi frappant. À l'entrée de la ville, une large avenue, démesurée et laide, rappelle toute la folie de certains élus "bétonophiles". Des deux côtés, des habitations inachevées, un nouveau siège de la préfecture (le troisième) et des stations d'essence reconverties dans des gargottes à grillades et tajines. La ville n'a, elle, rien de spécial. Quelque 300.000 personnes y vivent essentiellement d'activités liées à l'exploitation des phosphates, et d'agriculture (si l'on en croit la brochure officielle de la ville). En cette période de l'année, la ville accueille une nouvelle édition de son festival du cinéma africain et des milliers de ses enfants expatriés en Italie.
    L'autre ville se trouve à quelques centaines de mètres du chemin de fer qui divise Khouribga en deux. Première constatation, la verdure. "Malgré les années de sécheresse, cette partie de la ville a pu préserver un minimum de plantations", affirme cet habitant. Le cadre est joli, presque enchanteur. Des rangées symétriques de villas de style colonial aux tuiles rouges bordent des avenues ombrées de grands eucalyptus.
    Bienvenue au village. Ici, c'est le domaine réservé des cadres OCP. Plus loin, plus modeste, le quartier des ouvriers. Un village construit en pierres, mais peu à peu défiguré par ses habitants qui ont commencé à construire des habitations sur deux niveaux, en briques et en ciment.
    Le plus impressionnant, c'est qu'au-delà de la gestion, le village a entièrement été construit (puis entretenu) par l'OCP. En plus des habitations prévues au départ pour les ingénieurs européens (d'où le style colonial), le village est muni d'un hôpital pluridisciplinaire relevant de l'office, des clubs et des foyers pour le personnel, une centrale électrique, des stations d'épuration de l'eau, etc. Côté loisirs, toutes les installations se trouvent de ce côté de la ville. Les piscines, les terrains de tennis, de rugby, etc. En tout, l'office sponsorise plus de 32 disciplines sportives dans la ville. Saviez-vous, par exemple, que Khouribga disposait d'un karting, d'un centre pour le dressage de chiens et d'un club de tir ? Rien que cela. Bref, ce côté de Khouribga est peut-être le seul dans tous le pays à avoir essayé une gestion autre que celle (calamiteuse, faut-il le rappeler) des conseils proviciaux et préfectoraux. Y a-t-il des leçons à en tirer ? Certes, beaucoup. Pourquoi est-ce que, par exemple, tout marche bien du côté "privé" de la ville alors que tout stagne de l'autre ? Premier bout de réponse (évident du reste), les moyens financiers de l'OCP. Véritable machine à sous (qui commence à s'essoufler cependant), l'office n'a jamais eu à se plaindre du manque de moyens pour mener à terme ses projets. Mais ce n'est pas tout, puisque de l'aveu même de ce responsable local, "l'OCP verse des subventions conséquentes à plusieurs communes, cela ne les empêche pas d'être à la traîne du développement local. Tout est une affaire de gestion". Voilà, le mot est lâché.
    "Quand l'OCP décide d'un investissement, c'est qu'il vient d'abord en réponse à un besoin. Il est validé par les organes concernés et le budget est vite débloqué. Il y a un calendrier d'exécution, des pénalités de retard, un suivi... comme dans une entreprise. Il y a aussi des cadres qualifiés, recrutés selon des profils déterminés et non pour faire plaisir à tel ou tel groupe de pression", commente cet élu local. De l'autre côté, les projets inachevés ne manquent pas. Le plus impressionnant, cette salle couverte qui attend d'être ouverte depuis plus de 10 ans. Idem pour les nombreux travaux de voierie, d'assainissement, etc.
    Depuis quelques années, une question taraude les esprits des habitants de Khouribga. Que deviendra leur ville sans l'OCP ? La question est d'autant plus d'actualité que l'office commence à se désengager petit à petit de la gestion du village, et donc de la ville. Toute une partie à été cédée aux habitants et au conseil municipal et son état est tout simplement déplorable. "Regardez autour de vous. Les arbres ont séché, des maisons tombent en ruine, le sol est fissuré", déplore un habitant. Selon de nombreuses sources locales, les trois stations d'épuration d'eau cédées par l'OCP à la ville sont toutes maintenant à l'arrêt, faute d'entretien. Décidément, même vivant côte à côté, nos responsables ne prennent pas le bon exemple. "ça doit être la faute au système", répèteront-ils.


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